25/03/2024

L'invention du documentaire : les premières tentatives cinématographiques

L'invention du documentaire en tant que genre cinématographique remonte à la naissance même du cinéma. Les premières tentatives cinématographiques étaient en grande partie des documentaires, enregistrant des événements réels plutôt que le récit d'histoires fictives. En effet, les premiers films de l'histoire du cinéma étaient de courts métrages documentaires, montrant des scènes de la vie quotidienne, des paysages ou des événements historiques.

Les frères Lumière, considérés comme les pères du cinéma, étaient parmi les premiers à explorer le potentiel du documentaire. Leur film "Sortie de l'usine Lumière à Lyon", réalisé en 1895, est souvent cité comme le tout premier documentaire de l'histoire du cinéma. Ce court métrage de 50 secondes montre les ouvriers de l'usine Lumière quittant le travail. Ce film, simple et sans prétention, a posé les bases de ce que sera le documentaire : une capture authentique de la réalité.

En outre, le cinéaste britannique Robert J. Flaherty est souvent considéré comme le "père du documentaire". Son premier film, "Nanook of the North" (1922), est l'un des premiers exemples de documentaire à long format. Il raconte la vie des Inuits du Canada, avec une attention particulière à leurs coutumes et mode de vie. Ce film a non seulement marqué l'histoire du cinéma par son approche innovante, mais a aussi posé les bases du documentaire ethnographique.

Ces premières tentatives cinématographiques ont joué un rôle pionnier dans l'établissement du documentaire comme genre à part entière. Elles ont prouvé que le cinéma pouvait être un outil puissant pour capturer et partager la réalité, ouvrant la voie à une multitude de réalisateurs documentaires à travers le monde. Malgré leur simplicité apparente, ces films ont jeté les bases d'un genre qui continue de se développer et d'évoluer jusqu'à aujourd'hui.

Nanook of the North : le premier long-métrage documentaire

"Nanook of the North: A Story of Life and Love in the Actual Arctic", sorti en 1922, est généralement considéré comme le premier long-métrage documentaire dans l'histoire du cinéma. Réalisé par Robert J. Flaherty, ce film muet en noir et blanc suit la vie quotidienne de Nanook, un Inuit du Nord du Canada, et de sa famille. Le film met en scène leur lutte dans le but de survivre dans un environnement hostile et dépeint leur mode de vie traditionnel, comprenant la chasse aux phoques, la construction d'un igloo et d'autres activités de subsistance.

Flaherty a passé plus d'un an à filmer Nanook et sa famille, vivant parmi eux et apprenant sur leur culture. Il a utilisé une caméra à manivelle Akeley, qui était à la pointe de la technologie à l'époque, mais qui nécessitait de grandes quantités de lumière pour filmer. Cela signifiait que la plupart des scènes intérieures devaient être filmées à l'extérieur, ce qui a conduit à certaines inexactitudes comme la construction d'un igloo à moitié ouvert pour permettre à la lumière d'entrer.

Malgré ces inexactitudes, "Nanook of the North" a été salué pour son approche réaliste et son respect de la culture inuite. Il a établi plusieurs conventions du genre documentaire, notamment l'utilisation d'un personnage principal pour guider le récit et l'accent mis sur l'interaction entre l'homme et son environnement. C'est aussi l'un des premiers exemples de ce qu'on appelle aujourd'hui le "docudrame", mélangeant des éléments de documentaire et de fiction pour raconter une histoire plus engageante.

"Nanook of the North" a ouvert la voie à une longue tradition de documentaires ethnographiques, qui cherchent à capturer la vie et les coutumes de cultures différentes ou éloignées. Bien que les méthodes et les attitudes de Flaherty aient été critiquées par certains, son film reste un jalon important dans l'évolution du cinéma documentaire.

La naissance du cinéma vérité et le rôle des frères Maysles

Également connu sous le nom de cinéma direct, le cinéma vérité a révolutionné le monde du documentaire en proposant une approche plus intime et non scénarisée de la réalité. Cette technique a émergé dans les années 1960, établissant une nouvelle norme pour la production de documentaires. Les frères Albert et David Maysles ont été parmi les premiers à adopter cette approche, marquant ainsi l'histoire du cinéma documentaire.

Albert et David Maysles étaient des cinéastes américains qui ont joué un rôle de premier plan dans le développement du cinéma vérité. Leur approche unique du cinéma documentaire visait à capturer la vie telle qu'elle est, sans script ni direction préétablie. Ils laissaient les événements se dérouler naturellement devant la caméra, donnant ainsi aux spectateurs un aperçu brut et non filtré de la réalité.

Leur premier grand succès, "Salesman" (1969), a suivi quatre vendeurs de bibles porte-à-porte, capturant leurs luttes quotidiennes et leurs réussites. Ce film a établi les Maysles comme des pionniers du cinéma vérité, leur style documentaire brut et non filtré offrant une nouvelle perspective sur le monde.

Peut-être leur réalisation la plus célèbre, "Grey Gardens" (1975), reste un classique du cinéma documentaire. Le film explore la vie de deux femmes excentriques, mère et fille, vivant dans une maison délabrée à East Hampton, New York. Aucune autre œuvre n'avait jamais capturé une telle intimité et une telle réalité, faisant de "Grey Gardens" un jalon dans l'histoire du cinéma documentaire.

Les frères Maysles ont refusé l'idée d'un narrateur omniscient, préférant laisser leurs sujets s'exprimer eux-mêmes. Ils ont également rejeté l'idée d'interviews formelles, préférant capturer les conversations naturelles. Cette approche a conduit à des films qui se sentaient plus authentiques et honnêtes que leurs contemporains, plaçant les Maysles à l'avant-garde du cinéma vérité.

En résumé, ces derniers ont été des pionniers dans l'histoire du cinéma documentaire, repoussant les limites de ce qui était considéré comme acceptable et possible dans le genre. Leur approche du cinéma vérité a changé la façon dont les documentaires sont produits et perçus, faisant d'eux des icônes du cinéma documentaire.

Le documentaire d'observation : l'apport de Frederick Wiseman

Frederick Wiseman est reconnu comme l'un des pionniers du documentaire d'observation, également connu sous le nom de cinéma vérité. Depuis le début de sa carrière dans les années 1960, il a réalisé plus de 40 documentaires, chacun offrant un regard sans jugement et sans commentaire sur divers aspects de la vie et de la société américaines. Son approche a révolutionné le genre documentaire, en mettant l'accent sur l'observation directe et en éliminant la narration préconçue.

Le premier documentaire de Wiseman, "Titicut Follies" (1967), jette un regard sans précédent sur les conditions de vie dans un hôpital psychiatrique d'État. Le film a été interdit à la diffusion par l'État du Massachusetts pour des raisons de violation de la vie privée des patients, mais a finalement été libéré et largement reconnu pour son approche innovante du genre documentaire. Cette œuvre controversée a ouvert la voie à une longue série de documentaires, dans lesquels Wiseman explore différents aspects de l'institution américaine, des écoles publiques aux tribunaux, en passant par les hôpitaux et les zoos.

Wiseman se distingue par son style cinématographique unique. Il évite les entretiens et les voix off, préférant laisser les images parler d'elles-mêmes. Il passe des semaines, voire des mois, à filmer sur place, puis utilise le montage pour créer une narration complexe et nuancée. Il construit ses films autour de séquences, souvent longues, qui permettent au spectateur de s'immerger complètement dans le sujet.

L'apport de celui-ci au documentaire d'observation est indéniable : son approche a influencé de nombreux réalisateurs et a ouvert la voie à une nouvelle forme de storytelling valorisant l'expérience brute et non filtrée. Aujourd'hui encore, ses films sont considérés comme des exemples de référence du genre documentaire, offrant des perspectives uniques et profondes sur la nature complexe de la société américaine.

La révolution du documentaire d'investigation : le cas de Michael Moore

La révolution du documentaire d'investigation est inexorablement liée à l'émergence de Michael Moore. Connu pour son style provocateur et sans concession, ce réalisateur américain a contribué à redéfinir le genre documentaire dès les années 1980. En effet, il a mis en avant l'importance du documentaire comme outil critique et analytique, capable de mettre en lumière des problèmes sociopolitiques complexes.

Son premier film, "Roger & Me" (1989), est souvent cité comme un tournant clé dans le développement du documentaire d'investigation. Il s'attaque à la fermeture d'usines General Motors à Flint, Michigan, qui a eu un impact dévastateur sur la communauté locale. Moore utilise le film pour confronter directement les dirigeants de la société, une approche qui a depuis été imitée par de nombreux documentaristes.

Moore a continué sur cette lancée avec une série de documentaires mordants et politiquement chargés, parmi lesquels "Bowling for Columbine" (2002), qui examine la culture des armes à feu aux États-Unis, et "Fahrenheit 9/11" (2004), qui critique sévèrement la présidence de George W. Bush et sa gestion de la guerre en Irak. Ces films, qui ont tous deux remporté des prix prestigieux, ont prouvé que les documentaires d'investigation pouvaient attirer un large public et provoquer un débat public significatif.

Toutefois, l'approche de Moore n'est pas sans controverse. Ses critiques l'accusent souvent de manipuler les faits pour soutenir ses arguments politiques. En dépit de ces controverses, l'influence de ce dernier sur le genre documentaire est indéniable. Sa volonté de s'attaquer à des sujets controversés et d'interroger les puissants a contribué à faire du documentaire d'investigation un outil crucial pour la critique sociale et politique.

En conclusion, l'œuvre de Michael Moore a révolutionné le documentaire d'investigation. Il a prouvé que ce genre pouvait être à la fois divertissant et informatif, tout en ayant un impact réel sur le monde. Sa façon audacieuse d'aborder des sujets difficiles et de défier les personnes au pouvoir a fait de lui un pionnier dans le domaine du documentaire d'investigation. Son cas est un exemple parfait de l'évolution du documentaire dans le cinéma, montrant comment il peut être utilisé comme un instrument puissant pour explorer et commenter notre réalité sociale et politique.

L'ère du documentaire interactif : du webdocumentaire à la réalité virtuelle

L'ère du documentaire interactif a commencé à émerger avec le développement d'internet et des technologies numériques. Souvent appelée webdocumentaire, cette nouvelle forme de documentaire permet une interaction entre le spectateur et le film, offrant ainsi une expérience plus immersive et personnalisée. Il s'agit d'une véritable innovation dans le domaine du documentaire, car il permet au public de choisir le contenu à regarder, de naviguer à travers différents sujets et de prendre part à l'histoire de manière interactive :

"L'île aux fleurs", un webdocumentaire sorti en 2009, est souvent cité comme l'un des premiers exemples de ce nouveau genre. Réalisé par Jorge Furtado, ce documentaire brésilien utilise une combinaison de vidéos, d'animations, de textes et d'interactions pour raconter l'histoire d'une décharge à ciel ouvert située à Porto Alegre, et des personnes qui y vivent et travaillent.

La réalité virtuelle a également ouvert de nouvelles possibilités pour les documentaires, offrant une expérience encore plus immersive au spectateur. Les documentaires en réalité virtuelle permettent au public de se sentir véritablement présent dans le film, de vivre les événements de première main et d'interagir avec l'environnement de manière plus directe.

"Clouds Over Sidra", sorti en 2015, est l'un des premiers documentaires en réalité virtuelle. Réalisé par Chris Milk en partenariat avec l'UNICEF et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ce film raconte l'histoire de Sidra, une jeune fille syrienne vivant dans un camp de réfugiés en Jordanie. Les spectateurs sont invités à suivre son quotidien à travers une expérience immersive en 360 degrés.

L'ère du documentaire interactif est encore jeune, mais elle a déjà produit quelques œuvres pionnières qui ont repoussé les limites de ce que peut être un documentaire. Alors que la technologie continue d'évoluer, il sera passionnant de voir comment le genre du documentaire se transformera et se développera dans les années futures.